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07/14

Logement géré

La solution d'avenir ?

Émergent en France, en pleine explosion au Royaume-Uni et déjà bien ancré dans les pays scandinaves ou aux Etats-Unis, l’immobilier de logement géré attire aujourd’hui particulièrement les investisseurs.

La transformation croissante des façons d’habiter, émanant des évolutions liées à la mobilité, aux modes de travail, aux modes de vie et au vieillissement, s’ajoute aux tensions que rencontrent les moyennes et grandes villes pour proposer un habitat abordable et confortable à leurs habitants. Dans ce contexte, le logement géré semble apporter des réponses; mais avec quels modèles ? Pour qui ? Et surtout quels éléments de réponse.

« Au-delà des considérations démographiques, qui soulignent le vieillissement inexorable de la population française, les évolutions comportementales et sociétales modifient les parcours résidentiels et forgent de nouveaux besoins. En réponse, la classe d’actifs résidentiels se segmente en cibles (étudiants, séniors, jeunes actifs) et en gammes, se spécialise et se professionnalise pour y répondre : recherche de flexibilité locative, de services, sans oublier les enjeux humains autour des valeurs de la convivialité et de l’entraide », analyse CBRE dans son Outlook Real Estate 2020.

Cela pousse les acteurs, traditionnels ou non, à avoir une approche plus fine des populations auxquelles ils s’adressent et à la proposition de « produits » nouveaux. Dans ce cadre, l’immobilier de logement géré est largement privilégié. Objectifs : déployer des formes de contractualisation plus souples et aisées, développer la mixité et le partage, et surtout se différencier par les services et l’animation offerts. 

En France, le potentiel est grand

Pièce partagée en logement de colocation
Crédit : Halpoint, Envato Elements

Dans l’hexagone, l’offre de logement géré reste pour l’heure minoritaire dans le parc privé. Seul le parc social y répond. Il est géré en majorité par les organismes HLM. Au-delà de la mission historique de ces offices – participer au droit au logement de personnes aux ressources modestes ou défavorisées – , l’innovation s’y invite depuis quelques années. C’est ainsi que Pas-de-Calais Habitat par exemple, a créé un service de Recherche & Développement et d’Innovation, L’Atelier. « Les travaux sont basés sur 5 thématiques jugées stratégiques pour l’Office : le défi énergétique, le vieillissement, le handicap et la précarité, l’aménagement et la construction durable, le mieux-vivre ensemble, la jeunesse, le logement et l’insertion, notent les 9 organismes du réseau Habitat social pour la Ville. Le service permet de réaliser des expérimentations (habitat inter-générationnel, habitat coopératif, béguinage…) et de capitaliser sur les résultats, pour les intégrer ensuite au droit commun de l’organisme : les compétences acquises et capitalisées lors des expérimentations sont ensuite transmises par le biais de formations aux agents ». 

De manière globale, les organismes évoluent aussi largement autour de la notion de qualité de service donnée au locataire. 

Ces attentions portées au vivre-ensemble et à la qualité de vie sont les mêmes qui animent les acteurs de l’immobilier dans le privé. «Avec seulement 3 % du parc immobilier français détenu par des investisseurs institutionnels (quand ce ratio était de 25 % au début des années 1990), il y a une autoroute pour une offre locative institutionnelle, notamment quand on compare l’état de notre marché à des exemples internationaux plus matures », relève Sébastien Lorrain, senior director résidentiel, résidences services et santé, «investment properties» chez CBRE France.

Résidence sénior Domitys La Badiane
Crédit : Seniortransition.fr

Si menue soit-elle encore en France, l’offre d’immobilier géré du parc privé tend ainsi à se développer face à un immobilier résidentiel autonome particulièrement morcelé. Le modèle des résidences services seniors connaît par exemple un franc succès (voir infographie) avec des acteurs comme Domitys, les Senioriales ou Les Villages d’Or

« Les acteurs des RSS (résidences services seniors) devront faire preuve d’adaptation pour concrétiser le potentiel de croissance immense du marché. Le premier défi est le développement de la vente en bloc, un jeu gagnant-gagnant entre les parties. Celle-ci permet en effet aux investisseurs institutionnels de diversifier leur portefeuille d’actifs tandis que, pour les promoteurs et exploitants gestionnaires, elle est un bon moyen de limiter les frais de commercialisation, de sécuriser le flux d’investissement et de tisser des liens avec des partenaires puissants », analysent les experts de Xerfi dans une récente étude. Pour eux, l’entrée dans la classe d’âge 75-84 ans des baby-boomers à partir de 2022 va modifier encore la dynamique de ce marché. 

Le marché du co-living rencontre aussi une prometteuse émulation. Davantage encore à la frontière entre hôtellerie et logement que le concept de résidences de services, il vient apporter de la flexibilité sur des marchés immobiliers urbains très tendus et contraints, du partage mais aussi une incarnation de la convivialité au 21e siècle. En France, il regroupe des « proptech » comme Colonies ou Sharies, mais aussi des acteurs plus traditionnels comme les promoteurs Bouygues Immobilier ou Vinci

 * Les « socles actifs » consistent à animer les rez-de-chaussée d’immeubles au travers d’activités commerciales ou associatives ouvertes sur le quartier. Ils sont des restaurants, gyms, co-working, commerces de proximité ou locaux associatifs et assurent une continuité entre le bâtiment, la rue et le quartier. 

Parmi les lieux déjà ouverts et gérés par Colonies en région parisienne, tous comprennent un salon de détente, une cuisine, une laverie, un espace extérieur. Les services (eau, électricité, ménage et wifi) sont inclus dans le loyer. Et pour être “inclusif et accessible à tous”, la marque propose différents produits : chambre ou studio, salle de bain partagée ou personnelle… Son modèle ? Le rachat et la rénovation d’espaces immobiliers ou la construction, puis la gestion. Un pari qui fonctionne jusqu’à aujourd’hui : ces 5 espaces (dont 2 à Berlin) affichent complets, et Colonies a levé en mars dernier quelque 180 millions d’euros.

Colonies – Coliving
Crédit : Arnault de Giron

Autre modèle, Sharies se développe à travers un concept de « résidence urbaine mixte qui propose à la fois logements individuels et partagés, espaces de vie communs enrichis par de nombreux services, complétés par une offre de restauration et des espaces de travail, ouverts sur le quartier ». « Nous sommes présents sur toute la chaîne : de la conception et l’assistance à maîtrise d’ouvrage à l’exploitation en passant par l’ameublement, la décoration et l’animation des résidences. A terme, nous voudrions créer une identité Sharies au sein de nos résidences. Par exemple que le salarié de Paris veuille venir chez Sharies en co-living lors de ses déplacements, car il sait qu’il y trouvera le niveau de qualité, le design auquel il est habitué. Nous essayons de faire en sorte que le résident se sente partout chez lui », confie l’un de ses co-fondateurs, Augustin Midon.  

Crédit : Sharies.co

Fait notable, ces deux start-up comptent sur leur savoir-faire technologique, des systèmes de réservation en ligne performants, des conciergeries et des applications digitales de qualité, pour se différencier. 

De la Suède aux Etats-Unis : un marché déjà ancré

A ses prémices en France, l’immobilier de logement géré est plus ancré ailleurs. En Suède notamment où 22% du parc national est composé de coopératives d’habitations. Aujourd’hui, 75 % d’entre elles sont affiliées à une des deux fédérations fondatrices, selon le site Habicoop, et les 25 % restant étant des coopératives « indépendantes » qui s’inscrivent dans la philosophie de l’habitat participatif et sont recensées par l’association Kollektivhus Nu (Co-housing Now). Généralement une coopérative regroupe 80 logements, l’immeuble et le terrain appartiennent à la société coopérative et les habitants sont propriétaires de parts sociales de cette dernière. La gestion est assurée par les habitants et parfois par du personnel employé. 

Appartement Colive à Etterbeek en Belgique.
Crédit : Colive

A cette donne historique s’ajoute également un engouement pour le co-living. Car le pays, et la capitale en première ligne, est confronté à une profonde crise du logement. Dans un rapport de mars 2018, le conseil national du logement, de la construction et de la planification de Suède, estimait que 600 000 nouveaux logements devaient être construits d’ici 2025. En misant sur une optimisation de l’espace en ville et un partage des pièces de « vie », les acteurs du co-living ont donc visé juste. A Stockholm, des sociétés comme BLOOC, Colive, K9 ou Tech Farm ont développé leurs concepts et ne désemplissent pas. « Pourquoi un résident devrait-il payer pour un espace ou un endroit dont il n’a pas besoin? Tous les services de partage que nous voyons aujourd’hui faciliteront notre avenir et la vie de nos résidents. La propriété appartient au passé, les jeunes d’aujourd’hui veulent utiliser », affirme, convaincu, le COO (Chief Operating Officer) de Colive.

En Allemagne, où environ 50 % de la population est locataire, l’immobilier de logement géré est aussi plus commun. Dans les 32 villes les plus importantes, la part des professionnels du locatif privé s’accroît d’année en année et atteint aujourd’hui environ 25 %. Derrière, de nombreuses sociétés immobilières dont les 3 mastodontes : Deutsche Wohnen, Vonovia et ADO Properties. Mais le modèle classique du bail est généralement utilisé. Là encore, pour assister à une innovation en matière de gestion et de services proposés aux résidents, il faut aller voir du côté des acteurs du co-living, regroupés avec leurs partenaires de la chaîne immobilière au sein du mouvement Co-Liv

Au Royaume-Uni, le marché du logement connaît de grands changements. Là-bas en effet le marché du « Build-to-rent » (BTR) explose (voir l’infographie) : les immeubles sont construits spécialement pour être loués plutôt que pour être vendus. Ils comprennent des « blocs » de logements appartenant à un seul acteur institutionnel et gérés par lui. 

Et les Britanniques s’inspirent ici très largement des Etats-Unis où le BTR représente la plus grande catégorie immobilière devant l’immobilier commercial et de détail. « Le BTR est largement dédié au développement multi-familial aux Etats-Unis », précise Darren Parker, directeur de la gestion et du développement de projets chez L&Q. Mais il existe plusieurs gammes de projets et de services associés. « En premium, l’offre comprend un concierge, un gestionnaire immobilier sur place, une laverie, des systèmes d’entrée numérisés, un accès à un stockage supplémentaire et, à l’occasion même, un service de nettoyage pour animaux de compagnie (ndlr : voire une piscine, une salle de fitness…). A côté, les développeurs américains proposent aussi des modèles de « micro-living » ou de co-living ».

Bien gérer sera la clé ?

En Europe au moins, l’offre résidentielle semble bien s’orienter vers des modèles gérés par des professionnels. En France, « le résidentiel classique est sous-tendu par des dynamiques structurelles fortes : les besoins liés à la double tendance de croissance démographique et de desserrement de la cellule familiale s’accompagnent d’une accélération des mouvements de population, conduisant à un déséquilibre croissant entre offre et demande dans les zones urbaines dynamiques », estime CBRE. Et « la prise de conscience progressive, par le pouvoir politique, de la nécessité d’un marché locatif intermédiaire plus développé, ne reposant pas que sur les seuls investisseurs individuels dopés à l’incitation fiscale, devrait conduire à une évolution du cadre réglementaire, afin de lever certains des nombreux freins au retour des institutionnels sur ce segment. Les autres produits plus opérés (co-living et résidentiel géré) continueront de se développer, car ils répondent à la réalité de la complexification des parcours résidentiels, qui fait émerger de nouveaux besoins », analyse encore le groupe.  

Toutefois, pour que l’immobilier de logement géré soit adopté par les résidents, il faudra sans doute accroître et affiner la réflexion sur l’expérience des utilisateurs. Être en mesure de mieux évaluer les usages réels des actifs et les ressentis des habitants/utilisateurs sera la clé pour fidéliser, améliorer la flexibilité et l’accessibilité de l’offre, et anticiper d’éventuelles évolutions. Des échanges plus étroits et transparents avec les locataires devront s’instituer. La digitalisation des échanges comme des partenariats avec des acteurs éclairés de la proptech font donc partie des pistes à emprunter d’urgence.