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08/14
Spacemaker AI

Data et IA

Les futurs guides du design immobilier ?

Depuis quelques années l’Intelligence artificielle a rejoint la digitalisation et la collecte de big data au rang des priorités d’innovation des entreprises. Les outils pour les mettre en œuvre ont largement pénétré les secteurs de la banque et assurance, du retail ou du transport. Mais dans le secteur immobilier au sens large – entendez tous les acteurs intervenant sur le cycle vie d’un bâtiment – l’intérêt suscité par leur potentiel est plus récent. Du moins, la tâche y est plus complexe. L’envie est vive néanmoins tant les bénéfices supposés promettent à la filière d’être plus flexible, plus efficace et plus résiliente. Tour d’horizon des enjeux et défis en la matière.

Qu’elle fasse rêver ou qu’elle effraie, l’intelligence artificielle a gagné la majorité des discussions business et embarque chaque jour plus d’esprits chercheurs et innovants dans ses réseaux. Rien d’étonnant donc à ce que le secteur immobilier s’y penche. La transformation des métiers de conception, de gestion et de vente de biens grâce à l’utilisation d’algorithmes est d’ailleurs une réalité. « La plupart des applications sont en effet en phase d’introduction ou de décollage sur le marché avec, pour certaines d’entre elles, de beaux potentiels de croissance. La gestion des bâtiments, en particulier tertiaires, concentre aujourd’hui l’essentiel des applications d’IA destinées à l’immobilier », analyse le cabinet Xerfi Precepta.

Mais les attentes liées à l’intelligence artificielle concernent bien tout le cycle de vie du bâtiment, et donc tous ses acteurs, architectes, urbanistes, promoteurs, bâtisseurs, asset managers, agences immobilières…

Toutefois, dans le bâtiment, davantage que dans le secteur des télécommunications ou celui des banques, « la question des données se révèle plus complexe pour trois raisons », souligne la Fédération française du bâtiment (FFB) dans un rapport dédié à l’IA publié au printemps 2019. D’abord « le secteur s’avère fragmenté : il compte de nombreux métiers (donc d’intervenants) et près de 400 000 entreprises de toutes tailles en France métropolitaine ». Ensuite « les données d’un chantier ou de toute intervention n’apparaissent pas suffisamment organisées pour être structurées en l’état : sauf exception, elles sont au mieux classées dans un fichier Excel ». Enfin « les données se révèlent rarement partagées, chacun gardant ses prérogatives sur son domaine d’activité ou peut-être, de manière plus prosaïque, n’y a-t-il pas de réelle demande de partage ».

Et pour livrer toutes ses promesses, l’IA doit s’appuyer sur des données en quantité et de qualité pour apprendre, et finalement intervenir en bonne conseillère pour mieux bâtir, optimiser coûts et investissements, ou améliorer le bien-être des occupants.

Vers des pratiques « augmentées »

Reste que le secteur n’est pas figé. Le déploiement et l’adoption du BIM (Building Information Modeling) ont déjà bousculé les pratiques et invitent à partager toujours plus de données, le plus en amont possible d’un projet de construction, de rénovation ou d’aménagement. De quoi constituer une mémoire ou un double numérique du bâtiment pour optimiser l’intervention des différents corps de métiers sur chantier, réduire les délais de construction ou encore faciliter, une fois livré, l’exploitation du bâti.

A cette évolution s’ajoute l’installation croissante de capteurs et autres objets connectés dans les immeubles de bureaux, d’habitation ou commerciaux. De quoi collecter des données liées au fonctionnement de l’actif comme sa consommation d’eau, d’électricité, la fréquence d’utilisation d’un ascenseur, le « comportement » d’une chaudière, voire connaître la fréquentation en fonction des heures de la journée, ou des jours de la semaine.

« On pourrait y ajouter, de manière connexe, un troisième facteur d’accélération : la transition écologique et énergétique qui vise une meilleure gestion des ressources naturelles et leur préservation », estime encore la FFB dans son rapport.

Et pour capitaliser sur ces données, pratiques et attentions nouvelles, un travail est aujourd’hui à l’oeuvre pour développer des outils d’intelligence artificielle efficaces.

Ainsi, « Grâce à des algorithmes, tels que la conception générative (ou generative design) un concepteur est capable de proposer, en quelques minutes, plusieurs formes de bâtiments ou plusieurs agencements d’espaces et de mobiliers, en fonction des contraintes et des objectifs propres au projet », assure Emmanuel Di Giacomo, responsable du développement des écosystèmes BIM chez Autodesk. « Cela démultiplie la créativité de l’architecte ou du concepteur, faisant de la technologie un véritable allié, un collaborateur. Un exemple : les algorithmes de l’intelligence artificielle peuvent proposer en temps réel des solutions d’optimisation spatiale et économique de l’implantation des cages d’ascenseurs dans un projet hospitalier de 150 000 m2. Les calculs se font en quelques minutes, et sans risque d’erreur ».

Architectes et ingénieurs utilisaient « déjà des algorithmes de calcul basique, des logiciels qui permettaient de générer en automatique des façades, rappelle-t-il. Mais le generativ design actuel, combiné à la puissance de serveurs de calcul et d’algorithmes beaucoup plus poussés, nous permettent de littéralement booster le processus de conception de bâtis ».

Le prestigieux MIT lui-même est engagé sur le sujet via son groupe de recherche “ Digital Structures ”. A l’interface de l’architecture, de l’ingénierie structurale et du calcul, l’équipe du professeur Caitlin Mueller a notamment développé strutureFIT, une plateforme web gratuite basée sur un algorithme évolutif interactif, et permettant aux concepteurs de définir des paramètres évolutifs pour optimiser l’espace en termes de structure et de distribution de l’espace.

Au coeur des attentes des acteurs de la filière, il y a d’un côté la valorisation des biens et des territoires et de l’autre une aide à la décision pour optimiser la gestion et finalement la rentabilité d’un actif. L’ambition des développeurs de l’IA dans le secteur immobilier vise donc à améliorer les constructions mais aussi les processus de commercialisation ou la satisfaction des occupants/utilisateurs. « L’intelligence artificielle pourra faciliter le maintien à domicile des personnes âgées : on peut imaginer un système d’alerte qui repère, à partir de l’analyse de certaines données, une évolution inhabituelle de l’activité dans un logement », avance par exemple Dominique Sutra Del Galy, président de la Fédération Cinov. « L’intelligence artificielle va aussi nous aider à mieux concevoir, avec les industriels, des matériaux ou procédés constructifs capables de répondre à différents usages ».

Par ailleurs, « Dans la gestion des infrastructures, les pro- messes de l’Intelligence artificielle sont considérables : l’analyse des données numériques est un gisement de va- leur exceptionnel pour étudier la consommation, organiser la production, ou encore intervenir à distance sur des équipements, eux-mêmes de plus en plus intelligents. L’usage de l’IA s’étend également à l’identification de zones sensibles, d’usages spécifiques, de comportements à risques afin d’anticiper accidents, nouvelles pratiques ou épidémies », considère à son tour Christophe Chambet-Falquet, dirigeant de la société de conseil Roles9.

Et bien sûr il s’agit pour le secteur de répondre au défi de l’urbanisation croissante qui contraint à construire plus haut, plus densément et plus rapidement qu’auparavant, tout en offrant une qualité de vie élevée et des environnements urbains durables. De nouveaux acteurs entrent donc dans l’écosystème des acteurs du bâtiment.

A l’image de Spacemaker. « Nous avons développé une technologie d’IA révolutionnaire qui permet à l’utilisateur de générer et d’explorer une multitude de propositions de sites, de trier les meilleures et de fournir des analyses détaillées pour chacune d’elles. Il permet un niveau fantastique de perspicacité et un flux de travail collaboratif entre architectes, ingénieurs, promoteurs immobiliers et municipalités », décrit la start-up sur son site. L’étendue des applications de l’IA dans l’immobilier semble donc infinie et invite à croire que demain le secteur sera véritablement « data-driven ».

Data : une valeur à partager

Dans cet élan vers l’IA, les données, très convoitées, acquièrent donc une valeur significative. « Au-delà des avancées strictement techniques, le développement de l’IA dans nos métiers doit aussi prendre en compte les questions de l’asset manager ou responsable financier, estime ainsi Anissa Bouhalassa, présidente de Green Property. Comment devons-nous envisager la notion de valeur de la data ? Que peut-elle apporter, que peut-elle garantir ? S’il s’agit d’une valeur financière, est-elle liée à l’augmentation de la valeur vénale de l’immeuble, à une meilleure liquidité de marché, à une sécurisation en cas de volatilité de marché ? La data peut aussi revêtir une valeur économique par la maîtrise des coûts de fonctionnement qu’elle génère pour l’usager et/ou pour le propriétaire ou en termes d’investissements plus pertinents et donc plus rentables. D’autres types de valeur apparaissent aussi, telle que la valeur d’usage, liée au confort de l’utilisateur, la valeur opérationnelle et collaborative ou encore la valeur sociétale, à travers la performance énergétique d’un bâtiment. La data devient, dès lors, un bien marchand autonome, à collecter, à évaluer et commercialiser. ».

Questionnement et analyse très pertinentes qui invitent à s’interroger sur l’origine des dites données. Car si la data peut générer une économie d’énergie pour un usager, ou la mise en place de services plus personnalisés, en phase avec ses attentes, elle viendra souvent de ce même usager, de ses voisins, ou d’utilisateurs d’un actif similaire plus ancien. « C’est pourquoi, il est indispensable que les citadins comprennent les enjeux et les challenges liés au traitement de la donnée et qu’ils puissent bénéficier d’une partie de la valeur générée par cette exploitation », explique Christophe Chambet-Falquet.

Un avis partagé par Dominique Sutra qui avertit : « Pour éviter de transformer le « big data » en « big brother », il faut respecter la confidentialité de la donnée et être au clair sur le but final qui est le nôtre, à savoir assurer le bien-être des usagers. L’intelligence artificielle doit absolument être mise au service de l’humain ».

Un défi de transparence que devront absolument relever les futurs exploitants des données de l’immobilier, celles liées aux usages en particulier, sous peine d’attiser la méfiance et de perdre tous les bénéfices associés à l’IA. Et bien sûr d’autres freins restent à lever : en matière technologique, règlementaire, de formation ou d’acculturation au partage. Mais les espoirs sont grands.

// IA ET DATA // clés de l’immobilier de demain

a- De quoi on parle ?

IA = Intelligence artificielle

« Discipline visant à utiliser les technologies numériques pour créer des systèmes capables de reproduire de manière autonome les fonctions cognitives humaines, incluant en particulier l’appréhension de données, une forme de compréhension et d’adaptation (résolution de problèmes, raisonnements et apprentissage automatiques). » (1)

Data = Donnée ou Corpus de données

« Plus un modèle d’IA rencontre de données, plus il peut devenir intelligent. En ce sens, les modèles d’IA sont formés par de Big Data, tout comme les cerveaux humains sont formés par les données accumulées grâce à de multiples expériences. » (2)

b- À quoi cela peut servir ?

Cela peut servir par exemple à :

1. Prédire2. Recommander3. Aider à la décision
Prévoir une maintenance d’ascenseur et éviter la panne. Prédire le volume quotidien de déchets sur un chantier. Prévoir la fréquentation d’un espace de coworking ou d’un immeuble
d’activités.
Compléter le plan d’un architecte et/ou lui proposer une disposition optimale du mobilier par pièce. Proposer l’utilisation d’un matériau de construction plus adapté (en termes de résistance, de logistique ou d’exigences environnementales)…Mesurer les pour et les contre avant investissement. Choisir un plan plutôt qu’un autre pour répondre aux exigences de luminosité, de circulation et d’ameublement.

c- Optimiser la gestion des ressources énergétiques…

3 accélérateurs :

i- Le déploiement des technologies BIM (Building Information Modeling) ; ii- l’installation croissante d’objets connectés ; iii- la nécessité de préserver les ressources naturelles.

// DONNÉES // les défis du partage et de la confidentialité

a- Des données privées

De compteurs intelligents (eau, électricité, gaz…) placés dans les bureaux ou logements. De capteurs de présence ou de mouvement. D’enregistrement et/ou de paiements (hôtel, coworking, …).

Enjeux = Sécurité, confidentialité, partage de la valeur avec l’occupant.

« Il est indispensable que les citadins comprennent les enjeux et les challenges liés au traitement de la donnée et qu’ils puissent bénéficier d’une partie de la valeur générée par cette exploitation. » (3)

b- Des données à massifier et pourtant

Le secteur du bâtiment et de l’immobilier est très fragmenté (métiers et nombre d’entreprises). Les données d’un chantier ou d’un quartier sont peu ou pas organisées. Et en matière de coût et usage, l’open data est rarement de mise.

Enjeux = Mutualiser entre acteurs de la filière, partager la data pour structurer.

« Les entreprises sont-elles prêtes à travailler en- semble en matière de données? Cet enjeu d’horizontalité et de coopération devient prégnant et derrière lui se cachent ceux de l’accès et de la gouvernance de la donnée, voire l’acceptabilité par les usagers des technologies d’IA. » (4)

(1) Définition donnée par le Comité économique et social européen dans un avis de décembre 2018.
(2) Définition donnée par l’entreprise de logiciels Oracle sur son blog.
(3) Christophe Chambet-Falquet, dirigeant de Roles9, dans le rapport « l’Intelligence artificielle et le bâtiment durable » publié par la fédération CINOV en 2019, p.7.
(4) Les auteurs du Rapport publié au printemps 2019 par la FFB – « Intelligence artificielle et bâtiment » , p.21.

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