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09/14

Dark Kitchen & Dark Store

Classification & besoins immobiliers.

EXECUTIVE SUMMARYDark Stores et Dark Kitchens sont d’ores et déjà des businesses solides. Bien que nouveaux dans le paysage urbain, leur croissance notable et les investissements qu’ils attirent traduisent la confiance des marchés traditionnels (restauration, alimentation, distribution) et émergents (acteurs des nouvelles technologies, startups…). Plus de 1500 Dark Kitchens étaient référencées sur Uber Eats France fin 2020 (pour 28 000 restaurants inscrits sur la plateforme) et plus de 500 Dark Kitchens supplémentaires se sont inscrites sur cette même plateforme pour le seul mois de mars 2021. Il faut dire que ces commerces de l’ombre répondent aux aspirations des consommateurs pour des livraisons toujours plus rapides et flexibles. En tant qu’investisseur immobilier, nous estimons qu’ils peuvent être, outre des relais économiques et d’emplois nouveaux, de réels moteurs de développement urbain à condition de répondre aux questions légitimes qu’ils soulèvent.

L’impact de ces commerces de l’ombre sur le tissu et les modes de vie urbains inquiète les acteurs de la ville.

C’est vrai : Dark Kitchens et Dark Store fonctionnent sans façades animées et ils engagent des changements profonds des usages du commerce en ville. Et parce qu’ils mobilisent des outils d’intelligence marketing dernier cri, ils sont considérés comme des menaces pour les petits commerçants indépendants locaux. On ne peut faire fi de ces critiques.

Dark Store et Dark Kitchen Frichti
Dark Store et Dark Kitchen Frichti (Source : L’ADN, 2018)

La concurrence générée par ces acteurs est réelle, en particulier pour le commerce alimentaire et de première nécessité. Par ailleurs, dans une optique plus sociologique, voire philosophique, ces lieux « de l’ombre » interrogent sur l’avenir d’une sociabilité déjà très émoussée en ville. Qui dit livraison à domicile dit en effet cantonnement toujours plus grand des ménages dans leurs sphères privées, et moins de surprises, de convivialité et de partage dans les rues de nos cités. Sans compter les questions sociales posées par le recours aux autoentrepreneurs.

Les Dark Stores et Dark Kitchens peuvent-ils créer de la valeur pour l’ensemble des parties prenantes ?

En adoptant une posture exigeante et attentive, nous pensons que les élus, investisseurs, restaurateurs et commerçants peuvent contribuer à développer des Dark Stores et Dark Kitchens qui concilient les aspirations des consommateurs et des habitants des villes. Comme le montre cette étude, les Dark Kitchens ou Dark Stores peuvent contribuer à la mise en œuvre de synergies locales et commerciales, au soutien à la production locale, voire à la revitalisation des quartiers dans lesquels ils s’implantent. Nombre d’acteurs de ces marchés ont choisi de s’investir écologiquement, socialement et/ou dans une optique de développement local. C’est par exemple le cas de PicNic, Dija, Cajoo ou encore Frichti et Smart Kitchen, dans le cadre de leur partenariat avec des producteurs locaux pour les produits frais. C’est aussi le cas de nombreuses Dark Kitchens qui constituent des tremplins accessibles pour des restaurateurs souhaitant innover ou se lancer, certains optant même pour une démarche d’incubateur solidaire.

Bonnes pratiques.

Au travers de cette étude, nous dressons une cartographie des différents modèles de Dark Stores/Dark Kitchens existants et de leur implantation, afin de mieux comprendre ce marché et son intégration dans la ville et d’identifier les bonnes pratiques susceptibles de contribuer au développement vertueux de ces nouveaux
« commerces ».

Nous retenons en particulier :

> Des acteurs qui privilégient l’approvisionnement local pour soutenir le tissu économique de la ville ou de la région. Par exemple, Dija a noué un partenariat avec les cafés Kawa torréfiés à Paris ou avec des brasseries artisanales franciliennes.

> Des offres au service des structures collectives du territoire, en ciblant par exemple également des cantines scolaires, restaurants d’entreprises ou événements… Par exemple Les Camionneuses s’adresse principalement à la restauration collective d’entreprise et scolaire (800 repas d’expédition scolaire/jour sur un de leur site).

Chez Cooccio (Source : Cooccio, 2021)

> L’ouverture aux habitants du quartier : une offre servicielle sur site peut générer des bienfaits à la fois en termes de relation client et pour le quartier. Des cuisines peuvent par exemple être ouvertes pour des sessions de formation ou devenir des lieux d’incubationn solidaire. Ainsi Cooccio a ouvert le premier « kitchen incubator » en Espagne en 2017 pour accompagner de jeunes chefs qui montent leur entreprise.

> Des lieux d’innovation et de création, en attirant des grands chefs hors de leur zone de présence habituelle (ex : le chef Pierre Sang utilise une Dark Kitchen Deliveroo en banlieue parisienne) ou en apportant des outils dans ces territoires (ex : Taster a ouvert « une dizaine » de « petits labos » pour expérimenter de nouveaux plats et créer les futures marques labellisés Taster).

“Mamacita” de Honest Food (Source : Honestfoodcompany.de, 2021)

> Des montages immobiliers au service des restaurateurs et commerces qui utilisent ces sites, c’est-à-dire ni trop précaires (tels que la sous-location) ni trop figés (tels que le bail commercial 3/6/9 classique). Un contrat de mise à disposition et de prestation de services peut par exemple offrir à l’utilisateur des lieux à la fois l’infrastructure immobilière et les services nécessaires au développement durable de son activité.

Livraison PicNic dans une ville des Pays-Bas (Source : Dmitry Kann, Yktoo.com, 2019)

> Le choix de salarier et de former en continu les équipes (ex : Dija ou PicNic) peut avoir un impact fort tant pour le recrutement que pour le développement de l’emploi dans le quartier – les nouveaux acteurs associant service et tech avaient jusqu’alors privilégié l’« ubérisation ».

> Le recours à des moyens de mobilité douce ou peu carbornée, pour réduire l’impact de leurs livraisons. Exemples : des vélos et vélos-cargos comme chez Cajoo ou Dija ou des véhicules électriques, comme les voitures charrettes de PicNic.

Cafeteria Frichti (Source : Cafet.frichti, 2021)

> Des produits bios ou végétariens/vegans ou de saison en particulier, et des offres porteuses d’engagements environnementaux. Notons également les politiques d’achat responsable, en circuits courts et/ou auprès de fournisseurs avec des engagements RSE forts (ex : Frichti, PicNic) ou la réduction des déchets (emballages biodégradables, limitation des produits jetables). Ex : partenariat entre Dija et Too Good To Go sur les invendus ou Smart Kitchen avec « No Plastic Water ».

Dark Kitchens et Dark Stores pourraient ainsi prendre le tournant de l’engagement environnemental, sociétal et de gouvernance (« ESG »). Aux acteurs de ces marchés, à leurs investisseurs, aux promoteurs et décideurs économiques et urbains inquiets ou intéressés par ces lieux de valoriser ces choix économiques et sociaux responsables.