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Investissement résidentiel

"Less bad, more good"

Dans le monde post-Covid, comment créer de l’impact positif pour le résidentiel locatif privé ? Nous partageons notre réflexion, publiée dans le numéro 95 de Réflexions Immobilières, la revue de l’IEIF.

Numéro 95 de Réflexions Immobilières, la revue de l’IEIF

L’investissement immobilier à impact doit aller plus loin que la seule réduction des impacts environnementaux. Curiosity is Keys, véhicule R&D de Keys Asset Management dédié à l’exploration des modes de vie immobiliers futurs, est convaincu que le marché peut créer un impact réellement positif sur la société. C’est la logique « less bad, mode good ». Pour cela, Curiosity is Keys livre ses réflexions en espérant stimuler un travail collectif d’identification et de qualification de l’impact réel des investissements immobiliers résidentiels. Les premières recherches et expérimentations de Curiosity is Keys, réalisées sur le marché du logement locatif libre, permettent déjà d’identifier des aires d’impact, des critères objectifs et quantifiables et des pistes de solutions. Nous vous les présentons. 

L’ambition de l’investissement à impact dans l’immobilier se focalise le plus souvent sur le « E » des critères ESG (critères Environnementaux, Sociaux et de bonne Gouvernance). Et il faut bien dire que, encouragé par les politiques publiques, le marché a opéré de réels progrès en la matière : le bâtiment « Best in class » est désormais autonome en énergie grâce à l’autoconsommation et/ou contribue à la lutte contre l’artificialisation des sols car développé sur des friches ou du bâti existant. Mais cela ne suffira pas.

D’abord car les bâtiments sont responsables de 28% des émissions de gaz à effet de serre en France et 36% dans l’Union européenne, comme l’a rappelé le Haut Conseil pour le Climat fin 2020. Puis parce que quels que soient les efforts réalisés, l’action de développer de l’immobilier aura toujours un impact environnemental : transport des matériaux, risques pour la biodiversité, émissions liées aux travaux…

C’est dans ce contexte que nous nous tournons vers l’investissement à impact, qui porte une logique plus ambitieuse que la seule neutralisation de ses impacts environnementaux. Il a vocation à créer de l’impact positif pour la société. « Less bad, more good ». Selon la définition du Global Impact Investing Network (GIIN), l’investissement à impact est « réalisé avec l’intention de générer un bénéfice social ou environnemental mesurable en plus du retour financier ». Alors comment les investisseurs qui veulent aller plus loin peuvent-ils développer la culture du « less bad, more good » dans le monde immobilier ?

Depuis 2018, Curiosity is Keys, le véhicule R&D de Keys Asset Management dédié à l’exploration des modes de vie immobiliers futurs, a entamé une réflexion de fond sur l’impact du métier d’investisseur immobilier. Il nous semble que l’heure est venue de partager nos premiers éléments et de travailler avec l’écosystème pour, collectivement, enclencher une dynamique d’impact positif.

Aujourd’hui dans les grandes villes, le logement locatif libre est inaccessible et générateur de mal-être

Le logement locatif libre nous a semblé un bon premier candidat pour une stratégie d’impact. Tout d’abord car le logement s’inscrit dans la vie quotidienne et l’intimité de chacun de nous : il est le premier poste de dépense des ménages français. Mais également car le modèle actuel du marché locatif libre a montré ses limites, accroissant d’autant l’urgence de repenser son cadre pour créer un impact positif pour la société.

Ces vingt dernières années en France, les prix des logements ont progressé trois fois plus vite que les revenus des ménages et ce poste de dépense représente désormais un tiers du revenu disponible des ménages, contre un quart dans les années 1990.

Ce phénomène s’explique par la croissance de la population urbaine mais également par le desserrement des ménages : l’entrée plus tardive des jeunes dans la vie active, la réduction du nombre de mariages et l’augmentation des divorces réduisent le nombre moyen d’occupants par logement, passé de 3,08 personnes en 1968 à 2,20 personnes en 2017 selon l’INSEE, accroissant encore la demande et les prix. Pourtant, comme le soulignait le think-tank Terra Nova en 2019, « on conçoit toujours les logements selon un modèle ancien, trop rigide pour les multiples transformations de la vie individuelle et familiale ». 

Conséquence : une classe moyenne qui peine à se loger, trop pauvre pour accéder aux centres urbains mais trop riche pour accéder au logement social, renvoyée vers des logements exigus et ne répondant pas aux standards de bien-être du XXIe siècle. Alors que près de la moitié des Français vivent dans des grandes villes, 80% déclarent qu’ils aimeraient vivre à la campagne ou dans une petite ville. Ce mode de vie est source de mal-être et, en dépit de leur densité élevée, les villes éloignent les habitants plus qu’elles ne les rapprochent.

Si le marché a opéré sa mue sur le confort des logements (depuis le Grenelle de l’Environnement en 2007, la qualité de l’air intérieur, la lumière naturelle ou l’accès à un espace extérieur végétalisé sont pris en compte dans les standards de construction), le chemin à parcourir est encore long sur le marché locatif libre. En mars 2020 durant le premier confinement, 73% des Français ne disposaient d’aucun espace dédié pour télétravailler depuis leur domicile. Un tiers des Français ne pratique pas le niveau minimal d’activité physique recommandé par l’OMS, rendant indispensable un accès facilité à la pratique sportive. Et surtout il est urgent de concevoir des logements qui recréent du lien social.

Dès 2013, l’Organisation Mondiale de la Santé alertait sur l’épidémie de solitude. Ce phénomène, empiré par la crise du covid-19, touche toutes les générations : 13 % des jeunes sont touchés par l’isolement, soit presqu’autant que l’ensemble de la population (14 %) selon la Fondation de France.

C’est pour toutes ces raisons qu’en tant qu’investisseurs, il nous a paru urgent de travailler à la création de solutions à impact positif pour le logement, et particulièrement le logement locatif libre.

Des critères d’investissement en amont et une mesure quantitative des résultats en aval

Un prérequis pour créer de l’impact positif est d’identifier des aires d’impact qui s’inscrivent dans une approche holistique du problème et font donc référence à l’échelle internationale, issues par exemple des 17 objectifs et 169 sous-objectifs de développement durable définis par l’ONU en 2015. Pour le logement, on retiendra en particulier l’ambition de « villes et communautés durables » (objectif n°11) en assurant notamment « un logement et des services de base pour tous, au meilleur coût » (sous-objectif 11.1) ou la « bonne santé et le bien-être des populations » (objectif n°3) qui passe par exemple, toujours selon l’ONU, par la pratique régulière d’une activité physique.

De ces objectifs, découlent deux types d’actions concrètes pour le métier d’investisseur : la sélection contraignante de ses investissements, pour maximiser leur potentiel d’impact ; et la quantification des améliorations que produisent ces derniers sur la Planète et/ou sur leurs occupants. Parmi les  critères qui permettent d’identifier, en amont de l’investissement, la capacité d’un immeuble de logement à répondre aux objectifs de développement durable, on trouvera par exemple la possibilité d’y aménager un lieu dédié à la pratique sportive ou la présence d’un tel lieu (parc…) à proximité, pour maximiser les opportunités de pratique d’un sport.

Contrairement à la simple notation ESG, l’investissement à impact impose ensuite de mesurer sa performance en conditions réelles sur site, par le biais d’indicateurs prédéfinis. Pour être exploitables et permettre un diagnostic partagé, ces indicateurs doivent être précis, mesurables et quantifiables. Si l’on reprend l’exemple de l’activité physique, l’indicateur que nous avons développé évalue le nombre de résidents déclarant avoir effectivement augmenté leur pratique sportive grâce à cette installation.

Cette approche méthodique, proche du terrain et tournée vers l’utilisateur, incluant des critères a priori et une mesure quantitative a posteriori, est à nos yeux le meilleur moyen de mesurer le potentiel des réponses apportées par les investisseurs. En disposant d’une connaissance précise de l’impact de ses actions, l’investisseur peut savoir distinctement comment telle ou telle innovation affecte les habitants et l’environnement, évaluer la viabilité sur le long terme des solutions proposées et s’améliorer en continu.

Nous avons conçu et fait valider nos grilles de critère et indicateurs résidentiels par une tierce partie experte et indépendante, le cabinet Pwc, en 2020. Nous avons également souhaité que cette démarche soit simple et duplicable facilement sur d’autres marchés pour pouvoir poser les bases d’une discussion collective et d’une ambition commune de l’écosystème en faveur de l’investissement à impact.

Le coût global du logement comme mesure de son accessibilité réelle

En travaillant à la définition de ces indicateurs, une des premières conclusions à laquelle nous sommes parvenus est la nécessité de repenser notre approche du coût du logement. Sur le marché locatif libre, l’indicateur de référence est généralement le loyer. Mais du point de vue du locataire, le loyer n’est qu’une part du coût de son logement. Pour être au plus proche de la réalité, la mesure du coût du logement doit prendre en compte le loyer mais également d’autres dépenses liées et inévitables : charges locatives, assurance habitation, petit entretien du logement, électroménager, eau, énergie, abonnement internet… Dans son calcul du taux d’effort des ménages en matière de logement, l’INSEE prend d’ailleurs d’ores et déjà le parti de réintégrer certaines de ces dépenses complémentaires au loyer. 

Un indicateur précis, mesurable et quantifiable de l’accès au logement pour les classes moyennes est alors l’évolution du coût global du logement pour les ménages. Ce coût global comprend non seulement le loyer mais également les dépenses liées obligatoires (charges locatives, assurance habitation, petit entretien…), les dépenses considérées comme inévitables par l’INSEE (électricité, internet…) et les dépenses extrêmement courantes comme l’accès à la pratique sportive (6 millions de français sont inscrits dans une salle de sport et les 34 millions d’adultes qui pratiquent le sport au moins une fois par semaine déclarent y consacrer 316€ par an en moyenne).

Curiosity is Keys a ainsi quantifié le coût global d’une chambre en colocation (plus d’un quart des Français vit ou a déjà vécu en colocation) dans les grandes métropoles françaises et l’a comparé avec le revenu médian dans chacune de ces métropoles – des travaux similaires en cours pour le coût global d’un T1 et d’un T2 montrent des taux d’effort pouvant aller jusqu’à 70% des revenus médians. 

Coût global d’un logement en colocation comparé au pouvoir d’achat médian dans une sélection de grandes villes.
Part du budget total d’un logement en colocation, sur le revenu médian de la zone. 

Des premières pistes pour accroître le bien-être et réduire le coût du logement

Alors comment créer de l’impact dans le logement locatif libre ? Une solution pour améliorer la qualité de vie tout en réduisant le coût global du logement – très largement inspirée du co-living, qui conquis les grandes villes du monde entier depuis le début de la crise – est très certainement la mutualisation des espaces résidentiels et la professionnalisation de la gestion des immeubles.

Grâce à des espaces partagés, les locataires accèdent à coût réduit à des prestations aujourd’hui réservées, dans les villes, aux plus riches : espace de travail approprié et bien équipé (wifi, bureau au calme…), espace extérieur végétalisé, salle de sport ou chambre d’amis.  Ces designs favorisent la santé et le bien-être mais également les rencontres et le lien social.

La gestion professionnelle, c’est-à-dire l’exploitation à l’échelle du bâtiment avec des outils modernes, améliore non seulement la qualité du bâti dans le temps, mais aussi le bien-être des locataires, tout en réduisant les coûts. Un exploitant professionnel améliore l’entretien des logements – en particulier le petit entretien d’ordinaire confié au locataire – et limite ainsi les dégradations, réduisant in fine le coût global d’entretien du bâtiment. Il facilite également la mutualisation de certaines dépenses annexes inévitables pour les locataires qui contribuent à accroître le coût global du logement : assurance habitation, eau et électricité, accès internet… L’exploitant professionnel aura également intérêt à proposer aux locataires et futurs locataires un parcours d’emménagement simple, rapide et digitalisé alors même que, selon l’IFOP, les déménagements sont la quatrième source de stress pour les Français (davantage que l’arrivée d’un nouvel enfant !), en raison notamment des démarches administratives associées (citées par 27% des répondants). Un exploitant professionnel enfin est un élément supplémentaire d’humanité et de contact social dans l’immeuble ; le « property manager » est en quelque sorte le nouveau « gardien d’immeuble » avec un rôle augmenté et modernisé.

Nos premières modélisations montrent que cette stratégie de mutualisation des espaces et de gestion professionnelle permet bien de réduire le coût global de l’accès au logement locatif libre tout en améliorant la prestation. La diminution des dépenses hors-loyer obtenue grâce à la mutualisation des espaces et à la gestion professionnelle modernisée compense le coût de cette gestion et rend indolore l’accès aux prestations supplémentaires qui améliorent la qualité de vie. 

Dépenses globales de logement en logement traditionnel et en logement locatif géré tel que conçu par Curiosity is Keys

Une réflexion collective à mener

La démarche de définition d’une grille d’analyse composée d’indicateurs précis, quantifiables et mesurables permet d’ores et déjà de dégager des premières pistes pour créer de l’impact sur le marché du logement locatif libre. En raisonnant en coût global, on s’aperçoit que la mutualisation des espaces et l’exploitation professionnelle, à l’opposé du marché locatif résidentiel libre aujourd’hui morcelé entre 2,8 millions de particuliers bailleurs privés, permettraient de créer un impact positif pour le logement des classes moyennes (augmentation de la qualité de vie et diminution du coût global). La mutualisation des espaces et l’exploitation professionnelle donnent également les moyens à l’investisseur d’attirer et de fidéliser les résidents pour assurer la valeur du bâtiment sur le long terme.

A mesure que l’expertise sur le sujet s’accroît, les pistes d’actions et outils efficaces à mettre en œuvre se précisent. La société civile attend de nous investisseurs immobiliers, une démarche continue de mesure de nos investissements passés ou envisagés, de suivi engagé de nos portefeuilles, de remise en question, d’expérimentation et de dialogue élargi. C’est ce chantier que Curiosity is Keys souhaite aujourd’hui engager collectivement.