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02/14

Habiter dans 20 ans

Quels scénarios possibles ? Point sur l'influence des évolutions sociétales sur la forme du logement.

Comment, en matière de logement et d’habitat, concilier résistance au changement et besoin de rupture ? Comment la multiplicité des acteurs et des intérêts particuliers impliqués (propriétaires, occupants, entreprises du bâtiment, banques, collectivités locales…) pourrait-elle déboucher sur un « alignement des planètes » susceptible de réduire les inégalités et de satisfaire les nouveaux besoins liés à l’évolution des modes de vie ?
À partir de l’observation des grandes tendances démographiques, familiales, sociologiques et économiques à l’œuvre, l’étude prospective du think tank Terra Nova « Habiter dans 20 ans » nous fournit des clés de lecture pour mieux entrevoir à quoi pourrait ressembler notre habitat à l’horizon 2040.

Source : Terra Nova

Les objectifs de cette démarche exploratoire sont multiples : bâtir un certain nombre d’hypothèses afin de mieux anticiper les développements à venir, mais également nourrir le dé- bat public et sensibiliser les différents acteurs à un certain nombre de problématiques prégnantes telles que la ville durable ouverte à tous, l’accessibilité économique du logement, les nouveaux usages, les comportements de mobilité, la révolution du partage ou encore l’accompagnement stratégique des territoires. À terme, l’enjeu est de fournir aux pouvoirs publics une aide à la décision pour favoriser d’éventuels « changements de logiciel », et, si possible, infléchir l’avenir dans le sens d’une évolution souhaitable du logement plutôt que d’épouser les circonstances en subissant la pression des événements.

Les auteurs de ce rapport ont souhaité dépasser le cadre strict de la politique du logement en choisissant volontairement une approche centrée sur les manières d’habiter, les évolutions de nos modes de vie et les contraintes qui conditionnent nos choix, plutôt que sur la construction et le bâti : « Les évolutions de nos manières d’habiter dans vingt ans vont dépendre d’une série de variables clés dont les diverses pondérations nous orientent vers des trajectoires bien différentes. »

Ces « variables clés » sont identifiées comme suit :

  • la métropolisation et son impact sur le reste du territoire ;
  • l’occupation du territoire entre densité et desserrement;
  • les évolutions du travail et l’individualisation des horaires ;
  • la localisation de l’activité économique et son impact sur les mobilités ;
  • le vieillissement de la population ;
  • les changements de la vie familiale ;
  • l’affirmation dans la vie quotidienne d’un paradigme du partage et de la coopération ;
  • la transition écologique dans les transports,
  • la construction et l’occupation des logements ;
  • l’entrée de la révolution numérique dans les logements.

La mission que s’assigne le laboratoire d’idées Terra Nova relève en bien des points de la gageure. Répondre à la question « nous logerons-nous dans 20 ans », exige en effet au préalable de savoir nous chercherons à vivre et avec qui nous cohabiterons. Pour l’heure, il semblerait que la géographie de l’habitat demeure soumise à deux dynamiques corrélées : l’intensification de la concentration urbaine, d’une part, et l’étalement urbain, d’autre part, qui peut se définir comme la densification de territoires situés de plus en plus loin du cœur de la ville.

Or, et ce ne sera une surprise pour personne, le paradigme de l’habitat durable, plus sain, plus respectueux de l’environnement et plus économe en énergie, s’inscrit désormais dans une méga-tendance que rien ne semble pouvoir inverser ; la transition énergétique engagée fait aujourd’hui l’objet d’un consensus de plus en plus large et a, entre autres, vocation à contrer l’étalement urbain. Comment donc résoudre la quadrature du cercle et trouver la via media entre surconcentration urbaine et étalement excessif des périphéries, sachant que la finalité générale est de veiller à la préservation des ressources, de proposer une ville ouverte à tous et d’adapter les logements à de nouveaux styles de vie tout en favorisant l’inclusion sociale par le logement ?

Poids de l’acquis et force d’inertie

Le « logement semble inscrit par nature dans une trajectoire sans surprise » et « 80 % du parc immobilier dans lequel nous vivrons dans 20 ans est déjà construit ». Vingt ans est somme toute une échelle de temps limitée en matière de logement, ce dernier constituant par excellence un secteur à forte inertie, dont les évolutions sont lentes, les délais de réaction longs et les capacités d’adaptation aux changements imposés, réduites. Cela est si vrai que le parc immobilier ne présente un rythme de renouvellement que de l’ordre de 1 % par an, et la mobilité résidentielle observée demeure faible : 7 ans en moyenne dans le parc locatif privé, 13 ans dans le parc social, dont le taux de rotation peine à atteindre les 10 %.

Territoires qui rient, territoires qui
pleurent…

La géographie de l’habitat fait quant à elle apparaître des dynamiques nettement antagonistes, avec d’un côté des métropoles dont le cœur se révèle hors d’atteinte en termes de coût d’accès pour une part grandissante de la population, et de l’autre, le phénomène d’étalement urbain qui, s’il permet de loger les habitants aux alentours des métropoles, occasionne des coûts d’infrastructure élevés et un impact négatif sur l’environnement.

Il semble par ailleurs que la fracture territoriale risque encore de se creuser entre « la diagonale du vide », qui s’étend du Cantal aux Ardennes, et les zones qui bénéficient du processus de métropolisation, c’est-à-dire principalement Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse, Strasbourg, l’Ouest, le Sud méditerranéen et la zone frontalière franco-suisse. Si les premières semblent irrémédiablement vouées au déclin (emploi en berne, fort taux de vacance), les secondes ne cessent en revanche de gagner en attractivité, avec l’éternel revers de la médaille que constitue la hausse mécanique des prix de l’immobilier en centre-ville, un phénomène qui entretient le cercle vicieux de poussée des populations vers les communes de périphérie de ces métropoles majeures. On peut maintenant raisonnablement prédire que cette forte polarisation géographique des activités et des populations pèsera lourd sur le destin de territoires qui se sentent aujourd’hui délaissés. Plus que jamais, les acteurs du développement urbains sont invités à participer aux stratégies d’aménagement des territoires. La création récente de l’Agence nationale de la cohésion des territoires semble indiquer une (réelle ?) prise de conscience de la part de nos gouvernants.

S’il semble ainsi relativement aisé, à la lumière des tendances lourdes observées, de dégager des hypothèses plausibles sur le « où vivrons-nous dans 20 ans », la question de savoir avec qui nous habiterons/cohabiterons complexifie l’exercice de prospective. Selon les experts de Terra Nova, « les besoins découleront en premier lieu des évolutions démographiques ». Mais si le vieillissement de la population peut être considéré comme une donnée structurelle quasi inéluctable, il n’en va pas de même de nos comportements, ce que reconnaissent volontiers les auteurs du rapport : « Les hypothèses portant sur les comportements de cohabitation-décohabitation sont plus fragiles, car en partie liées aux conditions économiques ». Or les conditions économiques sont par essence fluctuantes…

Question : le conservatisme des modes de vie peut-il, comme par le passé, être encore perçu comme une constante ?

Rien n’est moins sûr car la révolution des usages est passée par là, bousculant singulièrement le paysage. Ainsi, si la projection du nombre de ménages à l’horizon 2040 demeure un exercice relativement aisé, il semble plus qu’aléatoire d’envisager les évolutions démographiques comme homogènes sur l’ensemble du territoire.

De fait, les marchés du logement présentant par définition une déclinaison locale très marquée, l’analyse prospective se trouve fragilisée en considérant les logements comme interchangeables, quels que soient leur localisation, leur taille et leur prix.

Ce qui est en revanche certain — et c’est une tendance clé — c’est que cette révolution des usages va progressivement redistribuer les cartes. On observe ainsi que les manières d’habiter, sous l’effet conjugué des évolutions des modes de travail (nomadisme professionnel, coworking) et des modèles familiaux (familles recomposées, monoparentales…), se transforment plus rapidement que le parc immobilier : « les temps d’occupation des logements, rythmés par la vie professionnelle, les transports et la vie privée se modifient progressivement. » et « la désynchronisation des rythmes de vie (travail en rythme décalé, travail de nuit, travail à temps partiel, travail indépendant, travail à la maison…) » rend envisageable de nouveaux partages des espaces au cours d’une même journée.

De toute évidence, un enjeu majeur pour le futur va consister à combiner les usages et donc à concevoir et aménager des lieux modulables dans l’espace, mais aussi dans le temps.

Va-t-on vers une révolution du partage et une mise en commun plus ambitieuse des espaces ? L’heure n’est sans doute pas encore complètement venue, mais bien que timide au départ, on constate cependant que l’extension des espaces partagés dans les logements collectifs (buanderie, cuisine, toit-terrasse avec potager collectif, salle de réunion ou de détente…), rendue possible par les nouvelles technologies, pourrait à terme redéfinir les délimitations traditionnelles de la vie privée.

À l’issue de leur exercice prospectif, les auteurs du rapport élaborent 4 scénarios, — dont 2 plutôt sombres — l’ensemble formant une gamme de futurs possibles en matière de logement et d’habitat.

Le premier scénario est celui dit de la « concentration métropolitaine » : le poids des métropoles se renforce au point de devenir écrasant. La fracture territoriale s’accentue, de même que les inégalités économiques et sociales. C’est le scénario noir.

Avec le deuxième scénario, dit de la « saturation urbaine », les métropoles sont en quelque sorte victimes de leur succès… La surdensité finit par y devenir étouffante et elles perdent de leur attractivité : bruit, surpollution, pics de chaleur à répétition, prix qui flambent… C’est le scénario gris foncé.

Le troisième scénario, « la révolution du partage », apparaît sur le papier plutôt séduisant, mais peut-être un peu trop idéaliste pour ceux qui croiront à l’individualisme présumé des français : la mobilité et la souplesse des usages jouent un rôle clé, les modes de vie urbains se transforment harmonieusement, les nuisances générées par la circulation automobile se réduisent, la voiture autonome se développe et décongestionne les zones, favorisant ainsi la reconquête des espaces autrefois mobilisés par les véhicules individuels.

L’économie du partage et la solidarité de proximité (famille, voisins, lien intergénérationnel) gagnent du terrain… Utopie ou réalité ?

Enfin, le quatrième et dernier scénario, donné comme le plus probable par les auteurs de l’étude, est celui du « réseau des métropoles ».
Son mot clé : équilibre. Il apparaît en effet comme le meilleur compromis entre la nécessité de réduire les inégalités, de respecter les impératifs environnementaux et de prendre en compte l’aspiration légitime des populations à une meilleure qualité de vie. Selon les auteurs, « le dynamisme métropolitain se diffuse et irrigue une vaste partie du territoire » et « les villes moyennes et intermédiaires prennent le relais des métropoles » en se développant à la périphérie de celles-ci.

Ce scénario table sur l’émergence d’un réseau urbain hexagonal exerçant un impact mobilisateur sur l’ensemble du territoire, ce dernier devenant alors une sorte de grand corps « bien vascularisé » dans lequel l’essentiel de l’activité économique et de l’accroissement démographique ne serait plus l’apanage exclusif de quelques pôles métropolitains.

Le développement significatif du télétravail ferait le reste en permettant de repenser la fonctionnalité du logement et en réduisant significativement l’exposition à la mobilité contrainte.